La science dit-elle que Bitcoin est bon pour le climat ?
Fin 2024, un nouveau lobby pro-Bitcoin fait son apparition en France. N'ayant plus aucun mandat au sein de l'ADAN, le principal lobby de l'industrie des cryptoactifs en France, son cofondateur Alexandre Stachtchenko a décidé d'en créer un autre, cette fois dédié à la promotion seule de Bitcoin qu'il fera appeler l'INBi (Institut National du Bitcoin).
Là où la quasi-totalité de l'industrie s'est convertie à un mode de fonctionnement beaucoup plus sobre, la première des blockchain continue de se baser sur la preuve de travail, un procéder qui récompense dans les grandes lignes ceux qui dépensent le plus d’électricité. C'est à cette particularité que l'INBi va consacrer ses premières batailles, et pas de n'importe quelle façon. La méthode peut avoir de quoi surprendre ; l'organisme décide de prendre ses détracteurs à contre-pied en défendant la thèse selon laquelle la voracité énergétique du Bitcoin serait un atout pour le climat. Cet argumentaire prend racine quelques années auparavant aux États-Unis.
En 2022, une entreprise ayant développé un générateur électrique utilisant la combustion des gaz issus des exploitations pétrolières cherche à renforcer son business model. Son générateur est très efficient mais les sites d'exploitation pertinents ne bénéficient pas de l'infrastructure pour distribuer une telle quantité d'électricité aux consommateurs. Le minage de Bitcoin se présente alors comme une aubaine ; plutôt que d'acheminer l'énergie jusqu'aux consommateurs, on peut créer de la consommation directement sur site. C'est ainsi que l'entreprise Crusoe Energy a lancé son activité dans le Dakota du Nord.
Se crée alors une opération de communication savamment orchestrée avec cette affirmation phare : le minage de Bitcoin aide à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) en brûlant le méthane plutôt qu'en le rejetant dans l'atmosphère. Il n'en fallait pas plus pour faire briller les yeux des lobbyistes du minage, peinant depuis des années à verdir l'image de leur activité. Jusqu'ici, le discours était limité au fait que le secteur tente de réduire son impact environnemental en adoptant l'usage d'énergies renouvelables (EnR). On passe donc de "Bitcoin n'est pas si grave pour le climat" à "Bitcoin est bon pour le climat".
Ce narratif devient le nouveau cheval de bataille de toute l'industrie du minage qui fait feu de tout bois pour tenter de l'imposer. Des études scientifiques sont financées ou instrumentalisées pour soutenir ces affirmations. On a le droit pêle-mêle à des arguments tels que : Bitcoin soutient le développement des EnR, Bitcoin réduit les émissions de méthane dans l'atmosphère, Bitcoin est une batterie (oui, oui) ... Malgré les moyens déployés, très peu d'études, même parmi celles citées voire financées par les industriels, arrivent à démontrer une quelconque réduction nette des émissions grâce au minage.
L'argumentaire a néanmoins fait suffisamment de chemin pour être diffusé en France. En mai 2025, l'ADAN en relaie une partie à son tour. Le 11 juillet 2025, l'extrême-droite Française (le RN et ses alliés Ciottistes) propose une loi visant à valoriser les excédents de la production électrique pour miner du Bitcoin. Accointance réelle ou simple alliance de circonstance ? En tout cas le copycat de la stratégie venue d'outre-atlantique semble tourner à plein régime.
Mais qu'en est-il vraiment ? Bitcoin est-il réellement un atout dans la lutte contre le réchauffement climatique ? L'INBi nous a concocté une liste de pas moins de 21 publications scientifiques (petite référence au maximum de 21 millions de bitcoins qui pourront être émis au maximum) censée clore le débat sur le sujet. Le hic, c'est que lorsqu'on fait l'effort de se pencher sérieusement sur ces papiers, on se rend vite compte que le portrait qu'essaient de nous dépeindre les lobbyistes est quelque peu capillotracté. Passons donc en revue ce que nous disent les scientifiques en nous posant la question suivante : les données et arguments présentés permettent-il de dire que le minage de Bitcoin est bénéfique ou mauvais pour le climat ? Par défaut, on dira qu'une étude est neutre lorsqu'elle ne permet pas d'apporter de conclusion sur le sujet.
1. Hedging Renewable Energy Investments with Bitcoin Mining
Neutre
L'étude indique que les fermes éoliennes peuvent être rentabilisées plus rapidement en consommant leur électricité pour miner plutôt que de la vendre sur le réseau. L'étude se concentre sur une région du Brésil où près de 98% de la production électrique est déjà bas carbone. Autrement dit, le minage permet de rentabiliser des installations éoliennes là où il n'y en a pas besoin.
2. Study on the Economics of Wind Energy Through Cryptocurrency
Mauvais
L'étude indique que les fermes éoliennes peuvent être rentabilisées plus rapidement en consommant leur électricité pour miner plutôt que de la vendre sur le réseau. Rien que cette affirmation permet de voir que le minage soustrait de l'électricité bas carbone du réseau lorsque cela est plus profitable de miner. L'affirmation selon laquelle cela permettrait de réduire les émissions globale est faite dans la conclusion et n'est basé sur aucune donnée chiffrée. L'étude ne fait état d'aucun chiffre sur les émissions de GES. Littéralement rien dans le papier ne permet de soutenir cette affirmation. L'éolien espagnol a un facteur de charge moyen de 24,3%. Pour le parc théorique de 300MW de cette étude, cela signifie une production moyenne de 1749,6 GWh par jour. L'étude émet l'hypothèse d'un facteur de charge de 70% pour l'équipement de minage. Dans le scénario le moins énergivore, le minage consommerait 2929,92 MWh par jour, soit plus de 167% de ce que le parc éolien est capable de produire. Dans le scénario le plus énergivore, le minage consommerait plus du double de la production du parc éolien. Les chiffres de cette étude montrent que le minage réduit la quantité d'énergie bas carbone disponible, ce qui va à l'encontre de l'affirmation selon laquelle cela contribuerait à réduire les émissions de GES.
3. Flared Gas Can Reduce Some Risks in Crypto Mining as Well as Oil and Gas Operations
Neutre
N'apporte aucune donnée chiffrée et se base sur des déclarations dans la presse d'entreprises privées. Quand on se renseigne sur le sujet, les seuls lieux où ce type d'infrastructure a été installée est sur des sites qui faisaient déjà du torchage. La technique est essentiellement une amélioration du procédé de torchage faisant des économies marginales d'émissions, si l'on en croit les déclarations Crusoe Energy, le constructeur des générateurs à gaz en question.
Selon l'entreprise, les torchères actuelles ont une efficacité de 93%. Crusoe permet de la hisser à 99.89%, soit une amélioration de 63%. Or lorsqu'on vérifie les données académiques sur le sujet, les torchères actuellement en activité au Dakota du Nord (là où Crusoe Energy a installé ses premiers mineurs de Bitcoin) ont plutôt une efficacité médiane mesurée à plus 99,97%. Il semblerait donc bien que même dans ce cas, le minage ne contribuerait pas à la baisse des émissions.
Cela ne signifie pas que le replacement des torchères par des centrales à gaz n'a aucun intérêt. Cela peut s'avérer utile en substitution des centrales à gaz traditionnelles. Cela pourrait réduire les quantités de gaz extraites du sol et ainsi les émissions carbonées en valeur absolue.
Mais ce n'est pas tout. L'étude fait l'impasse sur les émissions évitables via réinjection du gaz sous terre, procédé qui semble être recommandé dans la plupart des sites d'extraction de pétrole. Ce procédé réduit l'énergie nécessaire à l'extraction de pétrole du sol et permet de stocker le gaz pour une éventuelle utilisation future.
Ce que propose le minage, c'est de favoriser le brûlage du gaz même lorsque ceci serait évitable, et de cannibaliser l'électricité plutôt que de l'injecter dans le réseau électrique afin de diminuer l'extraction de gaz naturel par ailleurs. Les défenseurs du Bitcoin argueront que ce procédé est surtout destiné aux sites qui ne torchent pas leur gaz. L'entreprise conceptrice de ces générateurs semble en revanche se concentrer sur les sites où cela n'apporte rien au climat. C'est à se demander s'il a jamais vraiment été question de réduire les émissions ou s'il ne s'agissait pas uniquement de faire du green washing.
4. Mining Bitcoins with Carbon Capture and Renewable Energy for Carbon Neutrality Across States in the USA
Mauvais
L'étude montre quelles adaptations la production électrique doit apporter pour rendre le minage neutre en émissions carbonées et absolument pas en quoi le minage permet de favoriser la baisse globale des émissions. On peut même en avoir une lecture pragmatique de l'étude qui chiffre combien de moyens de production bas carbone seraient cannibalisés par le minage si ces scénarios étaient appliqués. Mais surtout, l'étude montre que le scénario zéro émission n'est jamais le moins cher, sauf à Hawaii, où il n'est de toute façon pas rentable, tout comme aucun autre scénario zéro émission nulle part aux USA.
Autrement dit, même s'il était possible techniquement de rendre le minage neutre en émissions carbonées, on est économiquement incité à ne pas le faire dans la vaste majorité des cas.


5. Drivers of Bitcoin Energy Use and Emissions
Mauvais
L'étude, produite par un lobbyiste des mineurs, dit juste qu’après avoir été très intensif en émissions de GES, le minage réduit son impact environnemental en restant malgré tout un émetteur net. C'est un aveu clair du caractère néfaste pour le climat de cette activité.
6. Bitcoin’s Carbon Footprint Revisited: Proof of Work Mining for Renewable Energy Expansion
Mauvais
L’étude indique clairement que les pratiques de minage doivent être changées si on veut voir un quelconque bénéfice pour le climat. Elle indique même littéralement qu’en pratique, le minage nécessite de tirer de l’électricité du réseau (dont le mix n’est pas décarboné), menant ainsi à plus d’émissions. On a même le luxe de voir 4 études en référence pour appuyer ce constat.
L'assertions selon laquelle cela permettrait de réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre n'est appuyé par strictement aucune donnée. Une seule phrase l'évoque et il s'agit plus d'un vœu pieux sur ce sujet qu'autre chose à ce stade.

Ce passage est d'ailleurs particulièrement problématique. Il s'agit d'un mauvais syllogisme : plus le minage consomme d'EnR, plus la production d'EnR est profitable et donc plus on en déploie ; or plus on déploie d'EnR, moins on consomme d'énergie fossile ; donc plus le minage utilise d'EnR, moins il y a d'émissions liées aux énrergies fossiles. Sauf que cette logique est aussi ridicule que le paradoxe du gruyère : plus il y a de fromage, plus il y a de trous ; or plus il y a de trous, moins il y a de fromage ; donc plus il y a de fromage, moins il y a de fromage.
Pour que la conclusion soit vraie, il faudrait que la consommation d'EnR croisse plus vite que la consommation totale. Or la majorité des études tendent à invalider cette hypothèse. L'étude n°4 indique par exemple que ce scénario n'est rentable nulle part aux USA. L'étude n°13 arrive à la même conclusion ; il n'existe pas de scénario où le couplage du minage à la production d'EnR permettrait de réduire les émissions nettes.
7. From Mining to Mitigation: How Bitcoin Can Support Renewable Energy Development and Climate Action
Neutre
L'étude se focalise sur la rentabilité des centrales à énergie renouvelable alimentant des fermes de minage de Bitcoin. Il est expliqué qu'il est possible de rentabiliser les centrales EnR avant même de les raccorder au réseau. Elle n’explique cependant pas en quoi cela permettrait de diminuer les émissions nettes de CO2. Sauf qu'après le raccordement, rien ne dit que les mineurs vont s'arrêter.
Non seulement le papier indique qu'il est possible de réinvestir dans de l'équipement plus performant pour maintenir la rentabilité, mais attribue aussi une valeur résiduelle aux équipements antérieurs. Cela indique que ces équipements resteront utilisés, que ce soit sur le même site ou ailleurs.
L’étude montre que le minage permet de rendre rentable les installations d’EnR avant même qu’elles ne soient connectées au réseau. On est donc littéralement dans l’idée de construire des centrales pour miner. On réduit ainsi l’intérêt d’investir dans le réseau et on se retrouve avec des centrales qui produisent pour miner, sans décarboner la moindre consommation. A ce propos, le papier ne présente aucun chiffre ni aucun mécanisme permettant d'envisager une baisse nette des émissions favorisée par le minage.
Autant il est possible d'affirmer que l'impact sur les émissions avant le branchement de la centrale au réseau est minime, rien ne permet de dire que cela le restera une fois raccordé au réseau. La plupart des autres études (dont 4, 8 et 13) montrent que dès lors qu'une ferme de minage est raccordée au réseau de distribution électrique, alors elle augmente les émissions nette.
8. High Resolution Modelling and Analysis of Cryptocurrency Mining’s Impact on Power Grids: Carbon footprint, reliability, and electricity price
Mauvais
L'étude indique que le minage augmente les émissions de GES mais qu'avec une réglementation adaptée, on peut limiter la casse en minimisant cette hausse (sans toutefois la faire disparaitre). Si le papier cherche effectivement à minimiser l'impact du minage, rien n'indique en quoi cela permettrait de réduire les émissions nettes de GES.
9. Renewable Energy Transition Facilitated by Bitcoin
Neutre
Ce papier ne montre rien et ne fait que citer d'autres papiers sans rien apporter de nouveau. Comme dans l'essentiel des papiers traitant du sujet, quand on dit qu'on peut "potentiellement faire baisser les émissions nettes" des GES, on le compare par rapport au minage actuel. Autrement dit : comment le minage peut régler les problèmes qu'il engendre, et non comment le minage peut permettre de réduire les émissions globales de GES, contrairement à ce qu'essaient de nous faire croire ceux qui colportent ces études à l'intérêt discutable.
Parmi ces derniers, l'INBi est allé jusqu'à inventer une potentielle réduction nette des émissions de GES lorsque le minage est utilisé comme charge flexible (c'est à dire qu'il consomme les excédents renouvelables) alors que cette affirmation n'existe nulle part dans ce papier.
En somme ce papier n'est rien d'autre qu'une référence d'autres papiers ou blogs (on repassera sur la rigueur académique), dont certains sont déjà référencés dans cette liste concoctée par l'INBi. L'objectif d'un tel article est surtout à booster le référencement des articles qu'il cite, la crédibilité d'un papier scientifique étant influencée par le nombre de références qui lui sont faites.
10. Robust Optimization for Energy-Aware Cryptocurrency Farm Location with Renewable Energy
Mauvais
L'étude cherche à maximiser les profits des entreprises de minage. Du propre aveu d'INBi, elle essaie de minimiser son impact environnemental, ce qui est un aveu déguisé du fait que le minage provoque une hausse des émissions nettes.
11. Feasibility Study of the Production of Bitcoin with Geothermal Energy
Neutre
Cette étude souligne deux points importants :
- Il peut être plus rentable de miner du Bitcoin que de vendre l'électricité sur le réseau, et lorsque c'est le cas, les incitations économiques poussent à cannibaliser un maximum de cette énergie bas carbone.
- Utiliser des EnR permet de réduire son emprunte carbone.
Absolument rien n'indique en quoi le minage permet de réduire les émissions globales de GES.
12. Bitcoin and Its Energy, Environmental & Social Impacts
Neutre
Ce n'est pas une étude mais une feuille de route destinée aux chercheurs voulant trouver des bienfaits environnementaux au minage. C'est littéralement écrit dans la conclusion : "Our paper brings to light crucial research priorities from the perspective of the Bitcoin mining industry".
Mais surtout … paie la tête du papier 😨. Il est à moitié générée par GPT-4 avec 100% des auteurs en conflit d’intérêt. Le papier s’introduit en mentionnant les problèmes liés au minage (dont l’impact sur le climat) et indique aux chercheurs la marche à suivre pour trouver comment les compenser.
Aucune donnée, aucune conclusion autre que : "au boulot les chercheur, aidez-nous à greenwasher notre industrie".
C'est à se demander quel est le processus de peer review de ce journal pour publier un torchon pareil.
13. Can Bitcoin Mining Increase Renewable Capacity?
Mauvais
C'est sans doute mon étude préférée de la liste, le plus beau but contre son camps de la série. L’étude montre que le minage de Bitcoin augmente les émissions de GES dans tous les scénarios, en plus d’augmenter le prix de l’électricité. La demande en électricité des mineurs augmente plus vite que les capacités de production.
L’étude démontre aussi que le développement de capacités de stockage est préférable, permettant d’éviter un quart d’émissions de GES par rapport à un scénario où seul le minage avec effacement est déployé. Ajouter du minage dans le paysage annule une partie des bénéfices permis par le stockage.
S'il fallait une preuve que les lobbyistes de l'INBi, et plus généralement de l'industrie du Bitcoin, ne lisent pas les études qu'ils partagent, celle-ci en est la plus belle ; un caviar !
14. Economics of Open-Source Solar Photovoltaic Powered Cryptocurrency Mining
Mauvais
L'étude n'aborde à aucun moment les émissions de GES. Elle se contente de comparer la rentabilité des fermes de minage couplées à des panneaux photovoltaïques. Aucun chiffre ne permet de dire que cela permettrait de réduire les émissions. L'hypothèse de départ est de faire tourner les mineurs 24h/24 avec environ la moitié de l'électricité consommée venant du réseau, y compris lorsque les EnRi ne produisent pas. On voit donc bien comment cela augmenterait les émissions de GES avec un réseau qui n'est pas débarrassé du fossil, mais pas comment cela permettrait de les réduire.
Cette étude a été publiée dans une revue dédiée aux cryptoactifs, qui n'intéresse à peu près personne à part les spécialistes du secteur. C'est peut-être pour cela que l'INBi a cru qu'il s'agissait d'une étude favorable alors que pas tant. Mais comme visiblement la précédente étude suggère qu'ils ne lisent pas ce qu'ils partagent, ça n'a rien d'étonnant.
15. Climate Sustainability Through a Dynamic Duo: Green Hydrogen and Crypto Driving Energy Transition and Decarbonization
Mauvais
L’étude cherche à voir comment baisser les émissions de GES liées au minage de Bitcoin, et absolument pas comment cette activité peut contribuer à la baisse des émissions de GES. Comme les autres, elle cherche à voir comment limiter l’impact du minage, admettant par là même qu'elle est émettrice nette.
16. Cryptocurrency Mining as a Novel Virtual Energy Storage System in Islanded and Grid-Connected Microgrids
Neutre
L’étude dit simplement qu’il est parfois plus rentable de miner du Bitcoin que de revendre son électricité au réseau principal. Si cela permet de rentabiliser plus vite des investissements dans les EnR dans des réseaux isolés, cela incite à ne pas investir dans l’interconnexion du réseau, et ralentit d’autant plus la décarbonation. L’étude fait totalement l’impasse sur les impacts négatifs d’une telle désincitation.
Sachant que les micro-grids isolés sont plutôt l’exception et non la règle, on peut deviner que l’impact global du minage est plutôt négatif, comme les autres études le montrent (7, 8 et 13). Néanmoins l'étude ne s'aventure pas à avancer le moindre chiffre sur les baisses d'émissions induites par le minage. Et de fait, aucune baisse ne lui serait imputable. Les revenus dégagés par le minage permettraient d'importer de l'énergie de l'extérieur, probablement du gaz pour faire tourner les centrales thermiques. On est donc sur un bilan neutre.
17. An Integrated Landfill Gas-to-Energy and Bitcoin Mining Framework
Bénéfique
Cette étude produite par des industriels du minage de Bitcoin (100% des auteurs en conflit d’intérêt) explique comment leurs produits incitent à brûler du biométhane pour alimenter des mineurs en électricité plutôt que de favoriser le remplacement du méthane fossile ou l’injection dans le réseau de l’électricité produite par biométhane.
Elle calcule des baisses théoriques d’émissions pour les décharges qui rejettent leur méthane dans l’atmosphère. L'opération vise surtout les déchèteries disposant déjà d'un dispositif de captation des émanations. De l'aveu même de l'étude, cela n'apporte aucune réduction des émissions comparé au brûlage actuel de ces gaz.
Evidemment, lorsqu'une déchèterie brule du méthane, elle en vient à étudier la possibilité de produire de l'électricité avec. L'étude suggère que le minage permet de rentabiliser la production d'électricité en évitant le raccordement au réseau de distribution. Alors, si on prend en référentiel ce qui aurait pu être évité comme émissions si ces unités de production étaient raccordées, l'étude montre un tout autre visage. Les économies affichées deviennent alors des émissions induites par le minage.
En effet, s'il est possible de raccorder une déchèterie au réseau électrique, alors installer des mineurs sur place ne fait que cannibaliser la production électrique locale. On se retrouve donc avec un bénéfice nul par rapport à des torchères, et négatif par rapport à un raccordement au réseau.
L'étude fait l'emphase sur les émissions mitigées, mais pas sur les baisses d'émissions empêchées. Cependant, l'honnêteté intellectuelle impose une lecture réaliste ; les baisses empêchées ne sont pas des ajouts nets. Un tel procédé permettrait potentiellement d'inciter à brûler du méthane qui ne le serait pas autrement, spécifiquement là où aucune politique incitatives n'est en place.
C'est donc loin d'être le moyen le plus efficace pour réduire les émissions, et dans la plupart des cas, cela n'aura aucun impact, mais dans certains cas spécifiques, cela pourrait produire des effets positifs.
18. Can Bitcoin Mining Empower Energy Transition and Fuel Sustainable Development Goals in the US?
Neutre
Il s'agit d'une actualisation de l'étude 7 faite par les mêmes auteurs. On peut donc en déduire les mêmes conclusions.
Même conclusion que pour les autres études du même acabit : au mieux, cela permet de développer le minage en minimisant son impact néfaste sur le climat, mais ça ne permet pas de diminuer les émissions.
19. Renewable Energy and Cryptocurrency: A Dual Approach to Economic Viability and Environmental Sustainability
Mauvais
L’étude indique que coupler le minage de Bitcoin à une centrale photovoltaïque cannibalise l’intégralité de la production de cette dernière et doit en plus aller se fournir auprès du réseau. La consommation augmente plus vite que la capacité de production (comme pour l’étude 13). Les 50k tonnes / an d’eCO2 ne sont pas des économies mais des GES qui auraient été émis si cette même ferme de minage était déployée sur réseau électrique existant. En réalité, l’étude admet à demi-mot une augmentation nette des émissions puisqu’il faudrait produire plus d’électricité sur un réseau où les sources fossiles représentent >80% du mix électrique.
En somme, cette étude arrive à la même conclusion que les études 7, 8 et 13 : on peut limiter les dégâts faits au climat par le minage de Bitcoin, sans pour autant les éviter, et encore moins le rendre bénéfique pour le climat.
20. The Relationship between Biomass & Bitcoin
Neutre
Conclusion analogue aux études 7, 8 et 13 mais dans le cas de raffineries de biomasse. Le minage de Bitcoin pourrait faciliter leur rentabilité en consommant leur énergie. Comme les études précédemment citées, on ne cherche pas à voir en quoi Bitcoin pourrait réduire les émissions, mais comment on pourrait réduire les émissions dues au minage de Bitcoin.
Le papier évoque beaucoup l'augmentation des profits des raffineries mais admet n'avoir aucun calcul permettant d'attester, même théoriquement, de la rentabilité d'une telle opération. Pragmatiquement, on pourrait aussi se demander pourquoi cette énergie n'est pas encore abondamment utilisée si elle était déjà bon marché (hypothèse sur laquelle repose tout le raisonnement de ce papier).
21. Rethinking Bitcoin’s Energy Use Through Sustainable Digital Business Models and Resources Monetization
Neutre
Le papier a cherché à recenser les boucles rétroactives ayant un impact négatif sur le climat et celles ayant un impact positif. Aucune quantification n'a cependant été faite. Pourtant les procédés décrits sont plutôt évocateurs : les gains en efficacité de minage sont compensés par l'investissement dans du nouveau matériel et seule la raréfaction des ressources énergétiques pousse à freiner le développement du minage.
Aucune donnée chiffrée ne permet d'attester la thèse selon laquelle le bitcoin serait globalement positif pour le climat. L'article indique bien qu'il cherche à cartographier les effets positifs et négatifs mais qu'il ne cherche pas à les quantifier. La plupart des autres études de cette liste indique pourtant que la tendance est à l'augmentation des émissions. Cette étude même, en montrant pour seule limite à la croissance du minage celle du manque de ressources énergétiques, suggère que le minage a tendance à annuler ses bienfaits. On a ici une parfaite illustration de l'effet rebond.
Similaire mais plus propre que celui généré par IA, il représente plus une feuille de route pour les chercheurs voulant quantifier chacun des effets décrits dans ce papier.
Classement des études
Après avoir passé en revue les études ci-dessus, nous pouvons classer chacune des études dans une des catégories suivantes :
- Mauvais : augmente les émissions nettes de gaz à effet de serre par rapport à l'absence minage.
- Neutre : ne permet pas de conclure si les émissions nettes augmentent ou baissent par rapport à l'absence de minage.
- Bénéfique : permet de réduire les émissions nettes par rapport à l'absence de minage.
Comme on peut le constater, l'écrasante majorité des études indique que le minage de Bitcoin est contre-productif dans la lutte contre le réchauffement climatique. Lorsque les lobbyistes pro-minage indiquent que cette activité permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre, elle fait quasi systématiquement appel à des procédés douteux. On en a vu quelques uns dans les études ci-dessus. Le plus fréquent est celui du changement de référentiel.
Voici un exemple, l'Université de Géorgie a présenté en 2024 une étude dans laquelle 8 fermes de minage aux États-Unis et au Canada ont permis ensemble de réduire 13,6 kt d'eCO2 entre Juillet et Septembre 2023. Elle compare les émissions des fermes de minage par rapport à si ces dernières avaient fonctionné tout ce temps à 100% de leur puissance maximale. Mais l'absurdité de cette comparaison ne s'arrête pas là. On a même eu le droit à une extrapolation encore plus ridicule : si l'intégralité des centres de données de la région se comportaient de la même façon que les fermes de minage, on économiserait 4,4 Mt d'eCO2. Comme si éteindre des serveurs était un comportement envisageable.
Pour savoir si le minage permet de réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre, il ne faut pas se concentrer sur les seules émissions de leur activité, mais également des impacts que cela a sur l'ensemble de l'économie. Sinon, comme l'ont montré la plupart des études citées par l'INBi, on ne fait que dire que le minage peut réduire sa propre emprunte carbone. Ainsi, il faudrait être capable de démontrer que le minage a une emprunte carbone négative pour lui trouver le moindre intérêt dans la lutte pour le climat. Or la quasi-totalité des études citées échoue à apporter la preuve d'une telle emprunte. On peut donc sans surprise conclure que le consensus scientifique est assez largement en défaveur du minage de Bitcoin lorsqu'on se fixe pour objectif de lutter contre le réchauffement climatique.